Tribune: Quand une probable dissolution planerait sur l’Assemblée nationale (Prof Jean-Denis Kasese)

Décidément, depuis le processus du raffermissement de pouvoir du Président Félix Tshisekedi, l’actualité politique en République Démocratique du Congo ne cesse d’être intense et riche en événements.

En effet, cette fois-ci, après la publication du gouvernement Sama Lukonde, le comportement de certains « Héros » d’hier , appelés  » députés révolutionnaires« , étonne d’aucuns et dépasse d’autres. Leur grogne préoccupe ainsi les esprits et agace une large partie de l’opinion vu que le Président de la République Félix Tshisekedi s’est montré ouvert et conciliant en partageant le pouvoir pour ce faire avec toutes les composantes de l’Union Sacrée de la Nation.

Ce sont ceux-là même qui ont été applaudis par les masses populaires pour leur courage; ceux-là même qui ont aidé l’informateur Modeste Bahati Lukwebo à requalifier la majorité parlementaire et, à doter l’Union Sacrée de la Nation prônée par le Président de la République Félix Tshisekedi d’une majorité parlementaire confortable qui menaceraient de bloquer l’investiture de ce nouveau Gouvernement.

Même si un compromis aurait été trouvé; les esprits doutent de la suite et, se demandent si ces honorables députés mécontents, ne rechigneront pas à d’autres occasions: réformes, vote de nouvelles lois, ….

Au moment où les Congolais attendent avec impatience , à travers ce nouveau Gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation la matérialisation de la vision du Président de la République centrée sur l’intérêt général  » Le Peuple d’abord « , l’amélioration de leur quotidien et, le développement intégral de leur pays; c’est plutôt le spectre d’une crise institutionnelle qui pourrait se pointer à l’horizon ou resurgir à tout moment.

Scientifiquement et pour leur gouverne, ces honorables députés mécontents doivent savoir que, même si, le Gouvernement a besoin de la confiance de l’Assemblée nationale pour son investiture afin d’agir et d’ appliquer son programme conformément à l’article 90 alinéas 4 et 5 de la Constitution.

Toutefois, ces honorables députés mécontents doivent aussi savoir contrairement à ce qu’ils pourraient penser scientifiquement, dans un régime politique comme le nôtre, le Gouvernement n’a pas besoin de son investiture par l’Assemblée nationale pour exister juridiquement.

En réalité, le Gouvernement existe déjà juridiquement , dès sa nomination et sa publication. Et de surcroît dans ce même ordre d’idées, ces honorables députés mécontents doivent aussi savoir que, scientifiquement, même s’ils recalent ce Gouvernement après la présentation de son programme sollicitant son investiture; ce même Gouvernement peut légalement renaître et travailler.

MA RÉFLEXION

Effectivement, l’existence juridique du Gouvernement Sama Lukonde a déjà été sanctionnée par l’alinea 2 de l’article 78 de la Constitution qui stipule la désignation d’un Informateur afin d’identifier une coalition en l’absence d’une majorité parlementaire; par l’Ordonnance n° 21/006 du 14 février 2021 portant nomination d’un Premier Ministre et enfin; par l’Ordonnance n° 21/012 du 12 Avril 2021 portant nomination des Vice-Premiers Ministres, Ministres d’État, Ministres, Ministres délégués et des Vice- Ministres.

Ces dispositions juridiques, nous démontrent à suffisance que juridiquement, le Gouvernement Sama Lukonde existe déjà sans être investi.

Cependant, ce Gouvernement a besoin pour agir de la confiance de l’Assemblée nationale conformément aux alinéas 4 et 5 de l’article 90 de la Constitution qui en réalité, engagent la responsabilité du Gouvernement sur son programme d’action avant son investiture.

Toutefois, en sens inverse selon l’esprit du parlementarisme rationalisé; certaines questions majeures doivent être posées :

  • Étant présumé avoir la confiance du Parlement, pourquoi le Gouvernement Sama Lukonde doit-il encore être tenu d’ en faire la démonstration car il est justement formé sur base de l’identification de la nouvelle coalition majoritaire qui peut se lire au sens strict, au niveau de l’Assemblée Nationale ?
  • Ne serait-il pas temps de repenser les alinéas 4 et 5 de l’article 90 de notre Constitution afin d’éviter dans l’avenir des menaces d’un blocage inapproprié lors de l’investiture d’un quelconque Gouvernement ?

Par analogie, le même problème se pose en France qui est aussi un régime politique semi-présentiel.

Soulignons toutefois en passant que la Constitution française a largement influencé la rédaction de notre Constitution.

La problématique de l’investiture du gouvernement en France, a débouché à ce qu’on appelle la querelle de l’article 49 alinéa 1 de sa Constitution.

Même si, certains termes de l’article 49 alinéa 1 de la Constitution française diffèrent des termes de l’article 90 alinéas 4 et 5 de notre Constitution; toutefois, la difficulté reste la même car le Gouvernement est formé sur base de la majorité parlementaire qui est dégagée, au sens strict, au niveau de l’Assemblée nationale.

C’est ainsi qu’en France, la question d’opportunité du Premier Ministre est appréciée librement par celui-ci.

Pour s’en convaincre

  • Lionel Jospin avait demandé un vote de confiance quelques jours après la nomination de son Gouvernement ( 1997) ;
  • Édith Cresson n’en a jamais eu recours (1991)

Donc, un Gouvernement qui n’est pas sûr, car disposant d’une majorité relative, n’a pas intérêt de déclencher l’application de cette procédure.

C’est pourquoi, en vue de renforcer les pouvoirs généraux du Parlement français, le Comité Consultatif pour la révision de la Constitution avait proposé que le Premier Ministre soit tenu d’engager la responsabilité du Gouvernement dans les quinze jours qui suivent sa nomination.

Et en RD Congo ?

  • Pour éviter un blocage inapproprié de l’investiture du Gouvernement, ne serait-il pas temps de repenser les alinéas 4 et 5 de l’article 90 de notre Constitution ?
  • La présentation du programme du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, ne pourrait- elle pas devenir facultative ? En ce qui nous concerne

Si le Gouvernement Sama Lukonde est recalé lors de l’investiture, comment peut-il encore légalement renaître et travailler ?

Pour rappel, la Constitution est aussi une des sources du Droit administratif.

Le Droit administratif, de par une de ses théories, la Théorie du fonctionnaire de fait, donnera les béquilles au Président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Ainsi, nous rentrons d’ores et déjà dans une matière administrative.

Même si en apparence, les alinéas 4 et 5 de l’article 90 de la Constitution sont tellement explicites et complets, et qu’il n’ y a plus de place pour procéder autrement; le Gouvernement Sama Lukonde même recalé lors de l’investiture peut renaître et travailler.

Comment ?

Refuser l’investiture du Gouvernement Sama Lukonde pour des raisons inappropriées peut causer une crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale.

C’est ici que le Président de la République pourrait intervenir en revêtant son maillot d’arbitre conformement à l’ article 69 de la Constitution afin d’arbitrer sur cette éventuelle crise.

Cet arbitrage peut l’amener à opter pour l’application de l’alinéa 1 de l’article 148 de la Constitution qui stipule la dissolution de l’Assemblée nationale en cas de crise persistante entre elle et le Gouvernement.

Même si l’Assemblée nationale est dissoute, mise à néant; le pays devra continuer de fonctionner au nom de la continuité de l’État et, de la loi de continuité du service public.

Ainsi, le Président de la République pourrait pour ce faire, nommer un nouveau Gouvernement.

Un panel de pistes s’offrirait à lui

  • Il pourrait reconduire le même Gouvernement Sama Lukonde ; bien entendu par une nouvelle ordonnance, prise après la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette nouvelle Ordonnance abrogera par voie de conséquence l’ancienne ( d’où la renaissance du Gouvernement Sama Lukonde)
  • Il pourrait aussi par une nouvelle Ordonnance, remanier le Gouvernement originel Sama Lukonde ;
  • Il pourrait aussi nommer un nouveau Premier Ministre et des nouveaux membres du Gouvernement ;
  • Il pourrait aussi nommer un nouveau Premier Ministre et garder les membres du Gouvernement originel Sama Lukonde;
  • Il pourrait aussi nommer un nouveau Premier Ministre et remanier l’équipe origenelle de l’ancien Gouvernement Sama Lukonde;
  • Il pourrait aussi nommer un nouveau Gouvernement composé de Secrétaires Généraux de l’Administration publique.

Toutes ces gymnastiques intellectuelles qui pourraient s’offrir au Président de la République Félix Tshisekedi dans l’hypothèse de la dissolution de l’Assemblée Nationale trouvent donc leur fondement juridique dans une des théories centrales du Droit administratif appelée la « théorie du fonctionnaire de fait« 

Cette théorie s’appuie sur deux fondements :

  • La continuité du service public et ;
  • La théorie de l’apparence.

C’est qui un fonctionnaire de fait ?

La théorie du fonctionnaire de fait permet de corriger les vices d’incompétence. Elle permet de résoudre les cas où une personne a exercé des compétences administratives dont elle avait été irrégulièrement investie. En d’autres termes, en Droit administratif, il est permis de nommer irrégulièrement certaines personnes pour qu’elles exercent certaines compétences administratives au nom de la continuité de l’État, du Service public.

C’est ainsi que les membres du Gouvernement qui seraient nommés après une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale, même s’ils exercent leurs compétences en dépit des alinéas 4 et 5 de la Constitution, seront réputés fonctionnaires de fait et couverts par cette théorie du fonctionnaire de fait.

Cette théorie diffère donc d’une personne régulièrement investie , valablement nommée, mais qui ne respecte pas les conditions pour prendre un acte administratif unilatéral.

La théorie du fonctionnaire de fait s’appuie donc sur deux fondements.

  1. La Continuité du service public: quand l’administration se prévaut de la compétence afin d’assurer le fonctionnement régulier des services publics et ;
  2. La théorie de l’apparence : quand le citoyen se prévaut pour le maintien d’un acte pris par une autorité irrégulièrement investie.

En RDC, le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement, sont-ils des fonctionnaires ? Cette théorie du Fonctionnaire de fait s’applique-t-elle aussi à eux ?

Le Décret-Loi n° 017/2002 du 3 octobre 2002 portant Code de conduite de l’Agent Public de l’Etat, stipule dans son article 1er, point 3 que les membres du Gouvernement sont des Agents Publics de l’Etat. Donc le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont des Agents Publics de l’Etat et non des fonctionnaires de l’État.

Ce même Décret-Loi nous révèle dans son article 1er, point 1, qu’un « Agent Public de l’Etat [est] toute personne qui exerce une activité publique de l’Etat et/ou rémunérée par ce dernier« .

« Un fonctionnaire de l’Etat par contre, est en réalité un Agent Public de l’Etat qui a un emploi permanent et évolue dans un régime statutaire en faisant carrière dans l’Administration publique« . Ce qui n’est pas le cas du Premier Ministre et des autres membres du Gouvernement. Toutefois, ils sont aussi tous des Autorités Administratives.

Le Droit administratif a donc élargi cette théorie de fonctionnaire de fait aux Agents Publics de l’Etat .

Donc, le Premier Ministre ainsi que tous les autres membres du Gouvernement qui pourraient être irrégulièrement investis après une éventuelle dissolution de l’Assemblée Nationale seraient ainsi, tous couverts par cette théorie du fonctionnaire de fait.

Dans ce cas de figure, après une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale, comment le Gouvernement pourrait-il procéder s’ il veut faire certaines réformes et créer de nouvelles lois? Notons d’entrée de jeu qu’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale n’entraînera pas celle du Sénat car notre Constitution donne au Président de la République la possibilité de dissoudre seulement l’Assemblée nationale et non le Sénat.

C’est ainsi que le Gouvernement pourrait s’appuyer sur l’alinéa 1 de l’article 129 de la constitution en demandant au Sénat la possibilité d’agir par Ordonnances-Lois pour l’exécution urgente de son programme d’action.

L’ alinea 3 de l’article 148 de la Constitution ne piègera-t-il pas le Président de la République et le Gouvernement en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ?

L’alinéa 3 de l’article 148 de la constitution demande à la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) d’organiser dans ce cas d’espèce, les élections législatives, soixante jours après la dissolution de l’Assemblée nationale.

Mais toutefois dans ce cas d’espèce, le mandat de l’actuelle CENI a déjà pris fin depuis juin 2019.

En outre, les discussions sur des profondes réformes de la CENI ont déjà commencé et sont d’actualité.

Cela dit, avec quelle CENI organiserait-on ces élections ?

De surcroît, avec quels électeurs organiserait-on ces élections ?

Par ailleurs, le problème de la faisabilité du recensement se pose déjà et pourrait resurgir afin d’avoir des probables élections législatives crédibles.

En outre, avec quels moyens financiers, pourrait-on organiser ces élections ?

La complexité et les épaisseurs de tous ces problèmes, pourraient déboucher dans cette hypothèse, à la recherche d’une solution politique négociée.

Toutefois, les institutions de l’État devront fonctionner afin d’assurer la continuité de l’Etat et des Services Publics .

A nos honorables députés mécontents, j’ai tenté de vous démontrer que ni le Président de la République, ni le Gouvernement, ni les autres institutions, ni les services publics de l’Etat, ni le peuple congolais seront bloqués à la suite d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale.

Si ma réflexion mise en exergue vous a éclairés, chers honorables députés mécontents, je vous prie de bien vouloir revenir aux bons sentiments, de privilégier l’intérêt général et, de vous souvenir que si vous étiez nos « Héros » , hier ; vous pourriez encore les rester pour toujours car, par votre courage, vous avez réussi à redonner aux Congolais l’espoir d’un lendemain meilleur.

Mais toutefois, tout dépend de votre comportement pour la suite, afin de rester à jamais des  » Héros » de cette révolution parlementaire. Notre pays doit aller de l’avant.

« Scientia Vincere Tenebras »( La Science Vaincra les Ténèbres).

Jean-Denis Kasese, Professeur à l’Université Pédagogique Nationale ( UPN), Professeur Associé et Chercheur à l’Université Libre de Bruxelles ( ULB)

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